Pourquoi ces élections européennes sont-elles bien plus passionnantes que celles de 2019? (2024)

Anna-Lena Högenauer, experte de l'UE

Les élections européennes ont tendance à être fades. Mais en 2024, tout est différent, selon Anna-Lena Högenauer, experte de l'UE à l'Université du Luxembourg.

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Les élections au Parlement européen gagnent en importance lorsque les partis politiques deviennent plus concrets au lieu de se limiter à de grands principes. © PHOTO: Parlement européen

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    Diego VelazquezJournaliste

À l’occasion des élections européennes de 2024, les grandes visions ont été reléguées au second plan et il est enfin question de politique concrète, estime l'experte en politique européenne Anna-Lena Högenauer. La chercheuse de l'Université du Luxembourg explique pourquoi la campagne électorale en devient automatiquement plus passionnante.

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Anna-Lena Högenauer, de nombreux politiciens, à l’instar d’Emmanuel Macron, affirment que l'avenir de l'Union européenne est en jeu lors des élections du 9 juin. Est-ce le cas?

Je vois les choses de manière moins dramatique. Les élections portent moins sur une éventuelle désintégration de l'UE que sur son orientation. C'est-à-dire dans quels domaines politiques on coopère, jusqu'où va la coopération et aussi ce que l'on fait exactement.

Pourtant, d'un point de vue historique, les élections européennes ne semblent guère enthousiasmer les citoyens. Comment expliquer la tendance à la faible participation électorale dans l'UE?

En Europe de l'Est et dans les autres «nouveaux» États membres, il est vrai que l'on parle relativement peu de l'UE. Cela signifie que de nombreux citoyens ont très peu de liens avec l'UE. Ou bien l'UE n'est mentionnée que lorsque des politiciens populistes affirment qu'elle fait quelque chose qui est prétendument mauvais pour leur pays. L'intérêt y est donc relativement faible.

Et en Europe occidentale, le problème est que jusqu'à présent, ces élections ne concernaient souvent que les grands principes. L'UE était synonyme de paix et de joie et les principaux partis ne se sont jamais vraiment positionnés les uns par rapport aux autres. De ce fait, les élections étaient généralement relativement fades et peu intéressantes pour les citoyens.

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Anna-Lena Högenauer est experte en politique européenne à l'Université du Luxembourg. © PHOTO: Université du Luxembourg

C'est précisément pour cette raison qu'est apparue en 2014 l'idée des «Spitzenkandidaten» à l'échelle de l'UE, dans le cadre desquels les familles de partis européens désignent un candidat à la présidence de la Commission européenne afin de faire campagne. L'issue des élections européennes devait ainsi être plus claire, l'enjeu plus important et le résultat plus lisible. Une bonne idée en fait, non?

En théorie, l'idée était que les élections européennes ressemblent à la sélection d'un Premier ministre dans un État-nation. De la même manière qu'au Luxembourg, Xavier Bettel pour le DP et Luc Frieden pour le CSV font campagne dans tout le pays, les candidats à la tête de l'UE devraient faire de même au niveau de l'UE. Et ils présentent ensuite leur politique et représentent chacun leur famille de partis. Le problème, c'est qu'il s'est avéré que cela ne fonctionne pas vraiment ainsi au niveau européen.

Le fonctionnement de l'UE rend presque impossible pour les candidats de premier plan de se positionner de manière tranchante et de prendre clairement position dans la campagne électorale. En effet, le président de la Commission doit être capable de réunir une majorité parmi les États membres, il doit même prêter un serment de neutralité et représenter tous les citoyens de l'Union de manière égale. Cela signifie que si un candidat critique trop sévèrement le gouvernement d'un pays membre, comme l'a fait le candidat socialiste à la tête de l'UE, Frans Timmermans, en 2019 avec la Hongrie, il se disqualifie presque automatiquement pour le poste.

Cela complique énormément les choses. C'est sans doute pour cela que l'on constate que de moins en moins de personnes se présentent au poste de Spitzenkandidat. Cette année, ni le Parti populaire européen (PPE) ni les socialistes n'ont vraiment eu de candidats pour le poste. Il n'y avait qu'Ursula von der Leyen au PPE et Nicolas Schmit chez les socialistes.

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Quelle est alors l'alternative au système des Spitzenkandidaten pour rendre les élections européennes plus intéressantes?

Il serait plus important qu'en tant que parti, on se donne un programme européen et qu'on le communique ensuite de manière détaillée et concrète. Mais jusqu'à présent, les partis politiques ont omis de le faire. La plupart du temps, ils en sont restés à des messages vagues, tels que «L'UE est importante pour la paix» ou «l'intégration européenne est importante». Et tous veulent en général faire plus pour ceci ou cela. Mais, à mon sens, il faut des programmes beaucoup plus concrets pour faire émerger des conflits politiques et montrer des alternatives entre les différents partis.

J’ai le sentiment qu’au Luxembourg, la campagne électorale n’est pas encore très visible.

En parlant d'alternatives. La plupart des partis du centre mettent en garde contre un virage à droite imminent au Parlement européen. Cette inquiétude est-elle justifiée?

Tout à fait. Certains partis très à droite sont également très radicaux et s'attaquent actuellement aux droits démocratiques. Ils veulent, par exemple, restreindre les droits des femmes, des minorités sexuelles ou des migrants. Certains sont aussi ouvertement antidémocratiques. Mais pas tous. Tous ne sont pas prorusses et aussi radicaux. D'une manière générale, je dirais aussi qu'en 2019, l'air du temps politique était relativement à gauche, même si le PPE est devenu le plus grand parti lors de ces élections.

Néanmoins, des thèmes comme la protection du climat ou la diversité dominaient l'agenda politique. Les socialistes étaient alors également très forts dans les négociations et ont réussi à imposer de nombreuses exigences, car Ursula von der Leyen en avait absolument besoin pour obtenir une majorité. En 2024, tout est un peu différent dans l'opinion publique. Sous l'influence des nombreuses crises, les gens s'inquiètent davantage de leur prospérité personnelle et de leurs problèmes personnels.

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Qu'est-ce que cela signifie pour la campagne électorale?

Les grandes visions sont ainsi reléguées au second plan. Et cela a pour conséquence que la campagne électorale devient automatiquement plus concrète. D'un côté, nous avons les sociaux-démocrates et les Verts, qui considèrent la protection du climat comme une nécessité absolue. De l'autre, les conservateurs qui disent: «protéger le climat, oui, mais de la manière la plus efficace et la moins coûteuse possible». Ce type de débat se retrouve ensuite dans la plupart des domaines thématiques.

Combien investissons-nous réellement dans l'armée? Comment faisons-nous en matière de politique commerciale avec la Chine et la Russie? Comment équilibrer la relance économique avec la politique sociale? Quelle est l'importance d'attirer à nouveau des entreprises? Quelles entreprises? Même en matière de migration, il ne s'agit pas de la question de principe «pour ou contre la migration», mais de savoir qui peut venir? Et comment se déroulent ces procédures d'asile? Qui en décide? À quel rythme et où?

Vous trouvez cela plutôt positif?

Je trouve cela plutôt positif, oui. Les électeurs reconnaissent ainsi différentes alternatives au centre et ont également un vrai choix. Bien plus que si la campagne électorale portait uniquement sur la question «pour ou contre l'UE». Mais ce qui manque encore un peu, c'est la visibilité. J'ai le sentiment qu'au Luxembourg, la campagne électorale n'est pas encore très visible.

Mais les débats existent en principe. Et si cela ressort encore plus clairement maintenant et que les débats de fond sont aussi menés à grande échelle, cela pourrait tout à fait être une campagne très passionnante pour les électeurs.

À propos d’Anna-Lena Högenauer

Anna-Lena Högenauer est professeur de sciences politiques à l'Université du Luxembourg et directrice du master en gouvernance européenne. Elle a étudié au King's College de Londres et au College of Europe de Bruges. Elle a obtenu son doctorat en sciences politiques à l'Université d'Édimbourg. Après ses études, elle a travaillé à l'Université de Maastricht avant de rejoindre l'Université du Luxembourg en 2014. Ses recherches portent sur les politiques de l'Union européenne et le rôle des États membres dans le processus décisionnel de l'UE.

Cet article a été initialement publié sur le site du Luxemburger Wort.
Adaptation: Laura Bannier

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