Inaugurée en tout début d'année avec une nouvelle édition de l'excellent manga Le Cheminot (autrefois sorti chez Panini) sous le nom Poppoya/Love Letter, la collection Koten des éditions Mangetsu, visiblement vouée à s'axer sur des oeuvres plus patrimoniales et hors-catégories, affiche réellement ses ambitions à partir de ce mois de septembre. Ainsi, en attendant dans quelques mois la nouvelle édition du manga culte Shin Chan, cette période de rentrée des classes est l'occasion idéale pour enfin découvrir dans notre langue, pour la première fois, les péripéties quotidiennes d'une autre enfant incontournable de la sphère manga: Chibi Maruko-chan, dont la belle histoire au Japon perdure sans faillir depuis les années 1980, malgré la disparition de son autrice Momoko Sakura le 15 août 2018 à seulement 53 ans suite à un cancer.
Initialement prépubliée au Japon d'août 1986 à juin 1996 dans le magazine shôjo Ribon des éditions Shûeisha pour un total de 14 volumes, rapidement auréolée de gloire jusqu'à remporter en 1989 le Prix du Manga Kôdansha catégorie shôjo, cette série ne vit jamais faiblir son succès au fil des années, à tel point que nombre d'adaptations ont vu le jour: une première série animée de 142 épisodes qui a battu des records d'audience au japon lors de sa diffusion entre 1990 et 1992, une deuxième série animée qui se poursuit toujours depuis 1995 toujours en cours et approchant des 1500 épisodes, des films d'animation, un film live, des jeux vidéo... Mais c'est aussi dans son format manga d'origine que l'oeuvre a su perdurer en connaissant différents spin-off au fil du temps (Chibi Maruko-chan - Oono-kun to Sugiyama-kun en 1991, Chibi Maruko-chan - Watashi no Suki na Uta en 1992, un 4-koma en 13 tomes entre 2007 et 2012, Chibi Maruko-chan - Kimi o Wasurenai yo en 2015, et le spin-off en deux tomes Chibi Shikaku-chan en 2016), et en ayant eu droit à quelques volumes supplémentaires après la conclusion initiale de la série: un tome 15 en février 2003, un volume 16 en avril 2009, un 17e opus sorti en décembre 2018 quelques mois après le décès de l'autrice, et en octobre 2022 un tome 18 dessiné comme un hommage par Kohagi Botan, un ancien assistant de Momoko Sakura. En somme, cela fait près de 40 années que le quotidien de la petite Maruko séduit le public japonais en manga, à la télévision et sur d'autres supports, en faisant totalement partie du paysage nippon, si bien qu'encore aujourd'hui il n'est pas du tout rare de voir nombre d'autres oeuvres y faire des références et autres clins d'oeil.
Pourtant, la recette de l'oeuvre est on ne peut plus simple: au fil de chapitres souvent plus ou moins indépendants, on suit différents épisodes du quotidien de Momoko Sakura, une petite fille de 9 ans qui est surnommée Chibi Maruko-chan à cause de sa petite taille même pour son jeune âge. Comme le laisse deviner le nom de cette fillette, il s'agit d'un alter ego de la mangaka elle-même, qui puisait énormément dans ses propres souvenirs d'enfance pour mettre en scène son héroïne, allant-même jusqu'à situer l'action à Shimizu-shi (situé dans la préfecture de Shizuoka) qui est le lieu de naissance de l'autrice.
Sous un dessin à la fois très simple et très expressif pour servir l'humour (une recette graphique assez similaire à celle de Shin Chan, finalement) et où la petite Maruko se démarque bien avec sa coupe de cheveux typique, Momoko Sakura déballe alors nombre de situations qui, tout en faisant sourire, laissent entrevoir dans ce premier tome quel type de petite fille elle est: sa vie de famille avec ses parents, sa soeur et ses grands-parents, son côté un peu cancre à l'école dont elle est régulièrement absente, ses mésaventures en sport,son envie déjà présente en elle de devenir mangaka plus tard, ses petites querelles du quotidien avec ses camarades ou sa frangine, ses états d'âme, son ressenti face à des événements spécifiques comme l'attribution des responsabilités aux élèves en début d'année... certains éléments étant, mine de rien, aussi l'occasion de nous immerger un peu plus voire de mieux découvrir des facettes de la vie quotidienne et de la vie scolaire au Japon, en particulier celle de l'époque où la mangaka était elle-même écolière.
Pourquoi un format si simple et si épisodique continue-t-il, encore aujourd'hui, de ravir nombre d'enfants japonais, et sûrement aussi nombre d'adultes ? Eh bien, sans doute parce que beaucoup de monde là-bas peut très facilement s'identifier à Maruko-chan. En ayant énormément puisé dans ses souvenirs d'enfance, dans sa propre vie, Momoko Sakura a créé une figure universelle qui sonne très vrai dans ses petits tracas quotidien d'enfant,le tout emballé dans un style léger et drôle du plus bel effet et apte à plaire à tout le monde. Et elle a d'emblée tâché de soigner ce côté très vrai à travers les nombreux à-côté qu'elle propose dès ce premier tome: on la sent intervenir régulièrement elle-même dans les nombreux blablas de Maruko-chan, elle continue de se livrer sur elle-même dans ses anecdotes entre les chapitres, et elle narre encore plus de choses sur ses souvenirs, sur elle et finalement sur un certain quotidien japonais dans les histoires indépendantes occupant le gros dernier tiers de ce premier volume.
A l'arrivée, au vu de son format, sans doute profitera-t-on encore mieux de Chibi Maruko-chan à petites doses, en lisant juste quelques chapitres à la fois, comme pouvait le faire le jeune public japonais lors de la prépublication initiale de l'oeuvre. Mais une chose est sûre: grâce à son style, à sa tonalité et au côté très vrai et universel de sa rigolote petite héroïne, Chibi Maruko-chan a quelque chose de très intemporel et proche de nous, ce qui explique sans doute sa facilité à continuer encore aujourd'hui d'accompagner le jeune et moins jeune public japonais, près de 40 ans après sa naissance.
Du côté de l'édition française, enfin, la mention spéciale sera pour Kevin Stocker, qui livre une traduction particulièrement réjouissante: à travers ses textes, la petite Maruko-chan sonne très juste, et les nombreux blablas (à la fois des personnages et de la mangaka) sont retranscrits avec une tonalité sincère, fluide et vivante. A part ça, la jaquette est soigneusement adaptée de l'originale japonaise par Julie Bureau, le papier est à la fois souple et assez opaque, l'impression est très convaincante, et le travail d'adaptation graphique et de lettrage par Robert Stanislawski du Studio Charon est très soigné.